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Table ronde autour de la santé en contexte européen et transfrontalier

Dans le cadre des activités du Centre Jean Monnet et de la chaire « Narratifs européens de la frontière » de droit Jean Monnet, la première édition 2023 des Castle Talks s’est tenue les 1 et 2 mars 2023.

Répartie entre la Hochschule de Kehl et le Château de Pourtalès, elle a rassemblé une soixante-dizaine de chercheurs, étudiants et entrepreneurs. Les conférences ont été nombreuses et les échanges variés : sanitaire transfrontalier, euroscepticisme, cartopologie ou encore programmes de la NASA et régionalisme catalan.

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Dans le cadre de la chaire Jean Monnet de droit  (séminaire Disputatio), le premier jour des Castle Talks s’est clôturé avec une table-ronde de professeurs et d’étudiants sur la santé dans l’Union Européenne et dans les espaces frontaliers. Modérée par Frédérique Berrod, les intervenants étaient nombreux : Fabienne Leloup de l’Université catholique de Louvain, Martine Camiade de l’Institut d’études catalanes, Jean-Yves Pabst, professeur de réglementation pharmaceutique, à Strasbourg ou encore Anne Dussap (TRISAN).

Frédérique Berrod, Jean-Yves Pabst, Anne Dussap

Martine Camiade, de l’Institut d’études catalanes, a ouvert la série de présentations servant de base aux discussions de la table ronde. Son exposé portait sur la frontière franco-espagnole et l’hôpital transfrontalier de Cerdagne. Cet hôpital est le seul en Europe à être transfrontalier.  Il se situe dans une région montagneuse touristique, historiquement partagée entre la France et l’Espagne, avec une enclave espagnole en France (Llivia). La Catalogne a des compétences dans la santé et y agit donc de concert avec les autorités françaises.

En 2006-2010, cet hôpital local a été créé dans la partie espagnole (à Puigcerda) avec un financement français, espagnol et FEDER-INTERREG. Après 20 ans de conventions, il a ouvert en 2014. Un instrument juridique européen a été créé pour intégrer les deux systèmes de santé différents : le Groupement européen de coopération territoriale (GECT).

Lors de la pandémie de covid, le Comité Européen des Régions a cité l’hôpital en tant qu’exemple de coopération transfrontalière : développement d’équipements, dépistage du covid, équipes médicales transfrontalières soignant des patients français et espagnols ainsi que répartition des patients graves vers les hôpitaux français et espagnols. Par ailleurs, une perspective européenne s’est construite dans l’hôpital : les soignants percevaient les patients comme avant tout européens. En outre, le Traité de Barcelone, signé en 2023, favorise encore davantage la coopération.

Cet hôpital a cependant encore des défis à relever. Il se doit d’améliorer ses liens avec les centres de convalescence et cabinets qui ne sont pas transfrontaliers, et l’hôpital a un rôle social : construire l’Europe.

Anne Dussap a pris la suite de Martine Camiade pour parler du projet TRISAN. Celui-ci est une collaboration de longue date entre la conférence franco-germano-suisse et l’Euro-Institut.

Ce dernier organise des conférences depuis les années 2000 sur la santé. En 2014 il a organisé une conférence sur la coopération franco-allemande sur demande du gouvernement allemand. Il a par la suite créé le projet TRISAN, centre trinational, cofinancé par un ensemble de collectivités territoriales et régionales : l’Agence Régionale de Santé du Grand Est / Alsace, les régions allemandes de Baden-Würtemberg et Rhénanie-Palatinat, le canton de Bâle, etc.
Ce projet a pour but de développer et accompagner la coopération sanitaire. Un deuxième projet INTERREG 2019-2022 a poursuivi cette expérience pour :
– Elaborer un plan de coopération trinationale sur la santé (priorités, objectifs, acteurs)
-Réaliser des projets concrets en épidémiologie ou encore la mobilité des patients

La pandémie a ralenti les échanges et activités du projet et le Groupe de Travail politiques de santé qui avait lancé TRISAN a cessé ses activités. Toutefois, en automne 2020, les activités ont repris sur la base d’une solidarité franco-allemande : 125 patients français ont été soignés en Allemagne. Angela Merkel a d’ailleurs accepté de prendre en partie en charge le coût de ces patients sachant qu’un patient en réanimation coûte 4500€ par jour.

A l’été 2020, les collectivités locales se sont organisées pour demander la fin de la frontiérisation, conduisant à la reprise des activités. Durant la pandémie, TRISAN a établi des comparatifs des règles s’appliquant en France et en Allemagne, et a informé les citoyens sur la possibilité de se faire vacciner en France, Allemagne ou Suisse.

Le bilan de l’activité transfrontalière sanitaire est en demi-teinte selon Anne Dussap. D’après elle, la coopération transfrontalière sanitaire connaît une recentralisation bien que les Etats-Nations, avec les politiques européennes, se soient aperçus de l’importance des zones frontalières.

Jean Yves Pabst est ensuite intervenu sur la régulation des médicaments en Europe. Le sujet est crucial d’autant plus que l’Europe connaît actuellement une pénurie : 3 000 références sont en rupture sur les 15 000 référencées en France.

En Europe, les compétences des institutions se renforcent progressivement, l’Agence Européenne du Médicament (EMA) délivre les Autorisations de Mise sur le Marché (AMM), rôle partagé avec les autorités nationales, en cas de procédure centralisée. De leur côté, les autorités nationales agissent lors de la procédure nationale ou mutuelle.

Poursuivant son exposé, le professeur a abordé les opérations d’importation parallèles. Ce dispositif concerne les spécialités pharmaceutiques ayant une autorisation dans un Etat-membre et une autorisation en France. Dans ce cas-là, un français peut faire de «l’importation parallèle». A ce sujet, étant donné que les prix des médicaments varient beaucoup entre les pays, les industriels vendent au plus offrant : c’est Chypre qui est le plus gros marché en Europe. Toutefois, les maladies et traitements ne sont pas référencés de la même manière selon les pays, ce qui nuit à l’importation parallèle.
Ces importations sont gérées par une AMM européenne, ont un emballage commun européen et leur transport est facilité ; ce qui concerne peu de médicaments.

L’accès dérogatoire, pour les médicaments non pourvus d’AMM, a également été abordé. Ce dispositif, remanié en 2021, permet un accès précoce pour les médicaments innovants, en cours de développement mais avec des résultats positifs et pour lequel le laboratoire s’engage à déposer une demande d’AMM rapidement.
Par exemple : le vaccin à ARN messager contre le covid 19, a eu un accès précoce et a donc pu être commercialisé sans être pourvu d’AMM.

Un deuxième dispositif dérogatoire existe : l’accès compassionnel. Il concerne les médicaments comblant un besoin thérapeutique non couvert en raison du manque de recherche sur le sujet. En résumé : il n’y aura jamais de médicament pour certaines maladies,  car personne ne recherche sur la maladie ; mais l’on permet aux patients d’utiliser un autre médicament qui a des effets positifs.
Le lobbying des associations de familles de patients touchés par des maladies rares est important, ce qui permet de faire baisser les prix des médicaments.

La souveraineté médicamentaire européenne a également été abordée. Bien que les autorités aient conscience du problème, sa résolution prend du temps car la construction d’une usine pharmaceutique prend 3 à 5 ans.

Pour clôturer la journée, les étudiants du Master Produits de Santé de la faculté de droit de Strasbourg, sous la direction de Madame Berrod, ont fait une série d’exposés sur la période du covid et la crise pandémique.

Un étudiant du Master Produits de Santé présentant ses recherches

Les présentations étaient variées : récits et vécus individuels sur la pandémie et ses restrictions, détails sur les objectifs d’harmonisation des systèmes de santé par la Commission européenne ou systèmes de transfert nationaux de masques. De même, ont été abordés l’instrument d’aide d’urgence (de 2016) pour les transferts de soignants et de matériel ou encore l’évolution des perceptions nationales sur la coopération.

Les mutations lors de la crise covid ont également été détaillées ; un étudiant en ayant identifié 10 :

  • Adoption de la télémédecine (+90% de téléconsultations en France)
  • Numérisation des dossiers médicaux, ce qui favorise la communication entre professionnels de santé. Le gouvernement allemand a d’ailleurs annoncé 500 millions d’euros pour numériser ces données.
  • L’UE a lancé l’initiative de recherche et d’innovation sur la covid
  • Développement des vaccins accéléré : 660 millions de doses de vaccins administrées aujourd’hui en Europe
  • Surveillance accrue et plus coordonnée des maladies dans l’UE : système européen de surveillance des maladies infectieuses
  • Mesures de restriction banalisées : distanciation sociale et fermeture des entreprises non essentielles ou encore interdiction des rassemblements non essentiels
  • Augmentation de la production de matériel médical tel que les masques (initiative européenne pour distribuer et produire les matériels médicaux)
  • Renforcement des systèmes de santé dont les lacunes ont été exposées (Recrutement de 9000 infirmiers en Italie)
  • Normes de santé communes : plateforme créée pour partager les informations sur les pandémies
  • Réforme des systèmes de financement des soins. Certains pays sont en train d’envisager des réformes : l’Espagne a annoncé une réforme pour renforcer la durabilité financière de son système)

Les présentations ont été suivies par un moment de convivialité qui a mis fin à la première journée du Castle Talk.

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