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Disputatios des Castle Talks

Dans le cadre des activités du Centre Jean Monnet et de la chaire « Narratifs européens de la frontière » de droit Jean Monnet, la première édition 2023 des Castle Talks s’est tenue les 1 et 2 mars 2023.

Répartie entre la Hochschule de Kehl et le Château de Pourtalès, elle a rassemblé une soixante-dizaine de chercheurs, étudiants et entrepreneurs. Les conférences ont été nombreuses et les échanges variés : sanitaire transfrontalier, euroscepticisme, cartopologie ou encore programmes de la NASA et régionalisme catalan.

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La disputatio entre étudiants et chercheurs s’est déroulée en trois temps. Chaque session a duré environ une heure et demie, au cours de laquelle 3 groupes d’étudiants (du Centre d’études européennes de la fondation CEPA, de la Hochschule Kehl et de Sciences Po Strasbourg) ont présenté un sujet soumis quelques mois avant les castle-talks. Chacun d’entre eux a reçu un retour sur son travail, et le discutant a été chargé de faire participer le public à la discussion qui a suivi l’exposé du sujet. Certains sujets ont suscité de nombreuses réactions de la part du public, comme l’exposé sur le régionalisme ou sur les frontières culturelles en Europe.

Première session de disputatios (11h-12h30)

Groupe de travail 1 : La division Est-Ouest dans l’UE contemporaine

Le premier groupe de travail du Centre d’études européennes du CEPA et de Sciences Po Strasbourg. Les étudiants ont constaté qu’il existe un énorme fossé socio-économique entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest, qui n’a pas été comblé par l’adhésion de ces pays à l’UE depuis les années 2000. Plusieurs facteurs peuvent être pris en compte pour ce constat, comme le fait que 31,4 % des Bulgares n’ont pas les moyens de s’offrir un repas avec de la viande rouge ou du poulet. Il existe également des différences dans la perception des minorités telles que la population tsigane, mais aussi les musulmans et les juifs, qui sont plus mal perçus en ex-Allemagne de l’Est qu’en ex-Allemagne de l’Ouest. Les projections des étudiants sont que l’Europe de l’Est doit renforcer ses institutions publiques et ses politiques économiques, ce qui devrait s’accompagner au niveau de l’UE d’une meilleure redistribution des richesses grâce aux migrations internes. Michael Frey, discutant de la présentation, a demandé si la crise de Covid pouvait être considérée comme potentiellement révélatrice de la frontière entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest. La crise, qui a considérablement réduit la mobilité au sein de l’UE, a montré à quel point l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest sont liées.

Les étudiants du groupe de travail 1 sur la division Est-Ouest dans l’UE

Groupe de travail 2 : Le nationalisme en Europe

Le deuxième groupe a présenté quelques cas de nationalisme en Europe. Tout d’abord, ils ont souligné que le gouvernement de Giorgia Meloni s’oppose à l’immigration en Méditerranée, créant même des tensions avec la France. Giorgia Meloni a également créé des frontières politiques, idéologiques, maritimes et économiques. En Hongrie, Viktor Orban aurait déclaré : « La diversité n’est pas une vertu. Nous ne voulons pas nous diversifier et nous mélanger aux autres. La migration est dangereuse et mauvaise ». Le nationalisme hongrois se manifeste par le fait que l’on ne peut plus devenir hongrois qu’en prouvant que l’on a des racines hongroises. En Hongrie, l’aide aux demandeurs d’asile non ukrainiens est même criminalisée. En France, le soutien à Emmanuel Macron entre 2017 et 2022 a été stable, tandis que le soutien à Marine le Pen a augmenté (en particulier dans le sud et l’ouest du pays). Pour le Royaume-Uni, le Windsor Framework entre l’UE et le Royaume-Uni (négocié quelques jours avant les castle-talks) garantit un commerce fluide et l’absence de frontière maritime en mer d’Irlande pour la région de l’Irlande du Nord, ce qui est un exemple de logique souverainiste qui a été adoptée et qui affecte les zones de tension. Daniela Braun, discutante de la présentation, a souligné que pour les deux premiers cas (Hongrie et Italie), la migration est le levier le plus important pour les partis nationalistes. Le public a également montré que les frontières peuvent être positives, comme la frontière interne (invisible) entre la Catalogne et le reste de l’Espagne.

Les étudiants du groupe de travail 2 sur le nationalisme en Europe.

Groupe de travail 3: Les frontières en temps de crises

Le troisième groupe de travail s’est concentré sur les frontières en Europe en temps de crise. Les étudiants ont exploré les concepts d’intégration, de frontières et d’identité nationale. Ils ont constaté que les crises avaient des effets positifs, comme le rapprochement des banques centrales et donc la facilitation de la coopération économique, mais qu’elles soulignaient également que les habitants des zones frontalières vivaient dans le même bassin de population, ce qui encourageait les manifestations transfrontalières en temps de crise. Lorsque les États-nations européens ont commencé à réagir au niveau national à la crise du covid, le nationalisme vaccinal et la rhétorique nationaliste sur les équipements de santé ont refait surface au détriment de la coopération transfrontalière locale. En effet, les États sont considérés comme ayant l’obligation morale de protéger la santé de leurs citoyens et se concentrent sur leur population (pas de vision au-delà de la frontière), et adoptent donc des politiques différentes en fonction de l’intérêt national perçu.

Les étudiants du groupe de travail 3, écoutant les retours de Frédérique Berrod
Frédérique Berrod, discutante du groupe de travail 3 sur les frontières en temps de crise

Deuxième session de disputatios (13h30-15h)

Après un déjeuner d’une heure qui a permis aux étudiants du CEPA, de Sciences Po et de la Hochschule de se rencontrer et de discuter des présentations de la matinée, la session a repris à 13h30 sous la présidence de Jörg Röber de la Hochschule Kehl.

Groupe de travail 4: Les frontières culturelles en Europe

Les étudiants du Centre d’études européennes (CEPA) ont commencé leur présentation en insistant sur le fait que l’identité européenne s’inscrit dans un modèle « en oignon » et qu’elle se décline en différentes couches (européenne, nationale, régionale, locale). Les étudiants ont donc choisi de présenter des cas de frontières culturelles en Europe, dans des pays qui ne font pas partie de l’UE. Tout d’abord, en Norvège, l’identité est ancrée dans l’européanité en raison de la position géographique du pays, mais les Norvégiens ne se sentent pas européens, mais plutôt nordiques (tout comme pour l’Islande). Le cas du Royaume-Uni est particulier, non seulement en raison de son ancienne appartenance à l’UE, mais aussi parce que le débat sur le Brexit a été mené par des souverainistes mettant en avant l’argument du « take back control » de leur territoire. Le Royaume-Uni est toutefois divisé en interne selon des lignes culturelles, comme avec l’Écosse, l’Irlande du Nord, l’Écosse, l’Angleterre, les dépendances de la Couronne, etc. La Suisse est au cœur de l’Europe, et la construction de l’État ne s’est pas faite selon des lignes nationales (culturellement uniformes), puisque le pays est divisé entre le nord et l’est germanophones, l’ouest francophone et le sud italophone (avec le romanche dans le sud-est). Environ 16 % de la population suisse sont des citoyens européens vivant en Suisse, et la Suisse est le quatrième partenaire commercial de l’UE, ce qui rend le commerce et la coopération extrêmement importants. Par ailleurs, environ 24 % de la population suisse n’a pas l’une des quatre langues nationales comme langue maternelle, car il existe d’importantes minorités (tel que le portugais, le serbe, l’albanais, l’espagnol, etc.). Fabienne Schimek, de l’Euroinstitut de Kehl, discutante de ce quatrième groupe de travail, a remercié les étudiants pour leur présentation de ces études de cas, et a demandé ce que signifiait se sentir européen, et, par extension, ce qu’est la culture (les arts, un sentiment commun d’appartenance, une modification d’un comportement hérité). L’identité européenne n’est pas conceptuellement identique aux autres identités nationales, puisqu’elle est davantage basée sur des valeurs. Enfin, sur un ton plus conclusif, l’auditoire a souligné à quel point le fait de considérer l’identité comme un oignon est pertinent dans le cas de l’Europe.

Les étudiants du groupe de travail 4 sur les frontières culturelles en Europe
Fabienne Schimek, discutante du groupe de travail 4

 Groupe de travail 5 : Les Droits de l’Homme et l’Europe sans frontières

Le cinquième groupe de travail a analysé la manière dont les mécanismes de protection des droits de l’homme sont appliqués en Europe. Après avoir rappelé que 300 000 demandes d’asile ont été rejetées au sein de l’UE au premier semestre 2022, les étudiants du Centre d’études européennes ont indiqué que les frontières intérieures de l’UE et de l’espace Schengen ont également été de puissants freins aux flux migratoires depuis la crise des migrants de 2015. La crise a été aggravée par plusieurs facteurs, tels que le système de compétences parallèles qui permet aux États de mener leurs propres politiques en matière de migration, et la coexistence d’un trop grand nombre d’acteurs motivés par des politiques différentes et ayant des intérêts et des mentalités différents. Depuis le règlement de Dublin, le premier État dans lequel les migrants entrent est celui qui enregistre leur demande d’asile et est donc leur pays d’accueil au sein de l’UE. Les pays européens situés sur les routes migratoires sont donc beaucoup plus exposés à un afflux important de migrants, ce qui renforce le ressentiment au sein de l’UE, étant donné qu’une politique d’accueil plus équilibrée n’est pas près d’être mise en place. Valeria Fargion a fait remarquer que les responsabilités entre les membres de l’UE étaient diffuses et difficiles à identifier clairement. L’UE n’est en effet responsable que du traitement des demandeurs d’asile une fois qu’ils sont sur le territoire, et non des autres types de réfugiés et de migrants. En fin de compte, seuls les États membres décident du nombre de migrants qui peuvent se trouver sur leur territoire.

Les étudiants du groupe de travail 5 sur les Droits de l’Homme en Europe

Groupe de travail 6 : Erasmus+

Erasmus est l’acronyme de European Region Action Scheme for the Mobility of University Students et a été lancé en 1987. Son objectif est de promouvoir les études à l’étranger, afin de créer des opportunités de travail transnationales et d’accroître ainsi les chances des jeunes de trouver un emploi. 90 % des étudiants Erasmus améliorent leur capacité à travailler avec des personnes issues de milieux culturels différents, et 70 % déclarent mieux comprendre leurs buts après un séjour Erasmus+. On estime qu’Erasmus permet de réduire les fractures économiques entre les États membres de l’UE en matière d’enseignement supérieur (en favorisant la mobilité collective) et de renforcer l’identité européenne et le sentiment d’appartenance à l’UE. Récemment, Erasmus a bénéficié d’un budget plus important pour l’aide linguistique et l’aide aux réfugiés, ainsi que d’un soutien accru pour les projets destinés aux jeunes. Le programme DiscoverEU, lancé en 2018, offre une possibilité d’apprentissage informel aux étudiants non européens. En résumé, Erasmus est un catalyseur et un symbole de l’intégration européenne. Michael Frey (Hochschule Kehl), discutant, a toutefois rappelé que de nombreux pays non-membres de l’UE sont éligibles au financement Erasmus.

Les étudiants du groupe de travail 6 sur Erasmus+

Troisième session de disputatios (15h30-17h)

Groupe de travail 7 : Elargissement de l’UE

Les étudiants du Centre d’études européennes ont expliqué à leur interlocutrice Louise Weber, de l’Euroinstitut de Kehl, qu’il existe deux limites à l’élargissement de l’UE. La première est d’ordre politique, notamment l’article 49 du TUE et les critères de Copenhague. La seconde est la limite culturelle, car la matrice de la culture européenne a créé un système de valeurs européennes. C’est pourquoi, bien qu’elle ait essayé de s’occidentaliser, la Turquie n’a jamais suivi la procédure d’adhésion à l’UE, ce qui a aggravé les problèmes économiques et politiques sous le régime d’Erdogan. L’Albanie tente également d’adhérer à l’UE, en modernisant à la fois son économie pour accéder au marché unique et son système administratif pour s’adapter à la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE. L’Albanie souffre toutefois d’un manque d’État de droit, de transparence et d’une administration exempte de corruption, ce qui entrave ses chances de rejoindre l’UE. Enfin, sur un plan plus culturel, l’Albanie a une population majoritairement musulmane, ce qui constitue une différence culturelle majeure avec le reste de l’UE, rendant peu probable une adhésion prochaine de l’Albanie.

Les étudiants du groupe de travail 7 sur l’élargissement de l’UE
Louise Weber de l’Euroinstitut, discutante du groupe de travail 7

Groupe de travail 8 : Le régionalisme dans l’UE

Les frontières politiques et culturelles façonnent l’Europe, créant un paysage diversifié. Cependant, les frontières politiques et culturelles ne se superposent pas nécessairement, ce qui suscite du ressentiment dans certaines régions d’Europe. C’est le cas de l’Écosse et de la Catalogne, où les appels à l’indépendance rencontrent un soutien assez important depuis plusieurs années. La perception des frontières par la jeunesse européenne est abordée, car pour beaucoup, les frontières n’existent pas et les citoyens n’y sont plus habitués. La perception des frontières politiques n’est pas la même en Finlande et en France, par exemple. La crise catalane pour l’indépendance a cependant fait taire les appels à l’indépendance, tandis que le succès du Parti national écossais peut s’expliquer dernièrement par les différentes crises traversées par Londres. Le Brexit a notamment été dernièrement l’un des principaux moteurs de la revendication d’une Écosse indépendante, la majorité des Écossais ayant voté pour le maintien dans l’UE. Un long échange avec le public et Jörg Röber (Hochschule Kehl) s’en est suivi, par exemple sur le rôle du Comité des régions en tant que porte-voix des élus régionalistes, ou sur la signification de la devise « Europe des nations » contre « Europe des régions », qui s’oppose à une approche étatique de l’intégration européenne.

Les étudiants du groupe de travail 8 sur le régionalisme dans l’Union Européenne
Jörg Röber, discutant du groupe de travail 8

Groupe de travail 9 : Capsules vidéo sur les crises de l’UE

Des étudiants de 4ème année de Sciences Po Strasbourg avaient réalisé des vidéos sur le thème des barrières frontalières à l’heure du covid. Cependant, la vidéo était inaudible. Les étudiants présents aux castle-talks qui ont participé à ce projet ont été invités à présenter leur travail malgré tout. Ils ont analysé les réactions de différents États membres de l’UE face aux crises dans les zones frontalières. Le groupe qui a étudié la crise de Covid a simulé une réunion entre les autorités nationales, échangeant sur la réaction à adopter, terminant la discussion sur la volonté des deux parties de fermer la frontière (refrontiérisation). Le groupe sur la crise économique a mis l’accent sur les contrecoups politiques de la crise vis-à-vis de l’europhilie. Le troisième groupe a travaillé sur la crise terroriste, avec la remise en cause de Schengen puisque l’état d’urgence en France a instauré des contrôles aux frontières, mais Schengen a également été reconsidéré en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Le dernier groupe a simulé une réunion entre des représentants de plusieurs Etats membres et un réfugié qui a posé des questions afin de comprendre les différentes législations concernant les demandeurs d’asile dans les différents Etats membres de l’UE.

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