Dans le cadre des activités du Centre Jean Monnet et de la chaire « Narratifs européens de la frontière » de droit Jean Monnet, la première édition 2023 des Castle Talks s’est tenue les 1 et 2 mars 2023.
Répartie entre la Hochschule de Kehl et le Château de Pourtalès, elle a rassemblé une soixante-dizaine de chercheurs, étudiants et entrepreneurs. Les conférences ont été nombreuses et les échanges variés : sanitaire transfrontalier, euroscepticisme, cartopologie ou encore programmes de la NASA et régionalisme catalan.
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Dans le cadre de la chaire Jean Monnet de droit (séminaire Disputatio), Fabienne Leloup de l’Université catholique de Louvain est intervenue lors des Castle Talks sur la coopération transfrontalière sanitaire franco-belge. Fabienne Leloup est professeure en sciences politiques et a participé à de nombreux ouvrages de recherche, elle a notamment coécrit “European Cross-Border Cooperation on Health : Theory and Practice, 2017” et “Cross-border cooperation in healthcare, octobre 2021” avec le réseau TEIN.
En introduction, Fabienne Leloup est revenue sur l’Histoire et le Droit dans le domaine de la santé dans l’Union Européenne.
En effet, ce domaine n’est pas une compétence de l’Union et agit en complément des Etats dans le cadre du marché commun. Toutefois, la Commission Européenne a progressivement accru ses actions à partir des années 1990 et la crise de la vache folle, et s’est orientée vers la prévention des maladies sida, cancer, drogue et maladies liées à la pollution. Le Traité de Lisbonne (2007) est venu compléter ces action, son article 168 traite de la santé et évoque la complémentarité des régions transfrontalières. Par ailleurs, d’autres initiatives ont été prises : carte européenne d’assurance maladie (2004), directive sur le droit des patients (2011), etc.
Poursuivant son exposé, Madame Leloup a abordé le transfrontalier sanitaire franco-belge, en particulier autour de la conurbation de Lille.
En France, l’hôpital de Tourcoing a développé une expertise dans le sida tandis que de l’autre côté de la frontière l’hôpital de Mouscron a développé une expertise dans la dialyse. Afin de simplifier le règlement des soucis de santé des patients, un accord a été signé entre les deux hôpitaux pour que tous puissent se faire soigner de l’autre côté de la frontière, le tout remboursé par la sécurité sociale. En effet, il est plus simple pour un belge vivant à la frontière de se soigner en France plutôt qu’à Bruxelles ; de même pour un français. Cet accord basé sur la dialyse et le sida s’est développé et a été répliqué ailleurs : télémédecine germano-polonaise ainsi que soins de santé mentale germano-belge.
Toutefois, ce dernier dispositif a dû être arrêté. En effet, si il y a des belges germanophones capables de se rendre en Allemagne, l’inverse n’est que peu une réalité. Le dispositif a donc été arrêté en raison du déséquilibre budgétaire en défaveur de l’Allemagne.
Par ailleurs, les campagnes à la frontière franco-belge sont caractérisées par le manque de services publics. Les assureurs ont donc voulu tester l’interopérabilité de la carte vitale (française) et de la carte de mutuelle (belge). Cela a été approuvé par les autorités européennes en raison de la faible densité de population et donc de la facilité de gestion des remboursements. Bien qu’il ait fallu développer un vocabulaire commun ainsi que l’accueil des étrangers pour coopérer au mieux, le dispositif a été un succès et a été répliqué tout au long de la frontière franco-belge, avec le soutien d’INTERREG et des acteurs locaux.
Durant la crise du Covid, la coopération a fonctionné pleinement entre les hôpitaux de Mouscron et Tourcoing : échanges de patients et inaugurations de nouveaux services. Cependant, la crise a conduit à la recentralisation de la politique sanitaire, privant les hôpitaux de leur autonomie et favorisant la fermeture des frontières. De plus, compte tenu de la différence de lois et de règles entre les deux pays, la confusion était grande parmi les soignants transfrontaliers. De même, les données pandémiques n’étaient pas calculées de la même façon par la Belgique comparé aux Pays-Bas et au Luxembourg. En effet, les belges comptaient tous les morts dans les ehpads comme des morts liés au covid, conduisant à des statistiques bien plus alarmantes qu’ailleurs. Peu à peu, il a été tenté d’harmoniser et rassembler les données dans la région Meuse-Rhin : données nationales harmonisées, mise en commun de données frontalières, diffusion de ces données par des observatoires auprès des décideurs. De plus, face à la fermeture des frontières, les soignants se sont unis et ont obtenu des laissez-passer sanitaires.
La crise comme « moment de révélation »
La crise a été « un moment de révélation », mettant à jour les problèmes mais aussi les dispositifs préexistants. Des documents de synthèse ont d’ailleurs été publiés par la Commission Européenne pour lister les dispositifs frontaliers.
« L’échelle transfrontalière est une bonne échelle pour essayer de nouveaux projets »
Par ailleurs, lors de la pandémie, les projets INTERREG ont été réorientés pour financer des imprimantes 3D afin de fabriquer des équipements sanitaires, produire des masques, etc. L’intérêt de ce programme européen est qu’il accepte les expérimentations, permettant d’innover et d’essayer de nouveaux systèmes dans les zones transfrontalières. Il faut d’ailleurs noter que les programmes INTERREG ont un impact éventuel après 12 ans. Toutefois, et d’après Madame Leloup, les opérateurs régionaux sont actuellement épuisés et ne sont plus tant en capacité d’innover. Il ne faut donc pas tout attendre d’eux.
« Faire l’Europe c’est souvent commencer par de la terminologie »
Revenant sur cette présentation, Frédérique Berrod a appuyé les propos de Madame Leloup sur l’importance de l’harmonisation, en particulier des statistiques et les terminologies : «Faire l’Europe c’est souvent commencer par de la terminologie ». Poursuivant son propos, elle a également évoqué l’importance du numérique : « On a fluidifié la libre-circulation [..] mais il demeure des cloisonnements plus ou moins étanches [ …] Le numérique reste quelque chose d’éminemment cloisonné ». Egalement, il reste des progrès à faire au niveau des dirigeants. Par exemple, le traçage des transfrontaliers par les applications de santé est défaillant ; les dirigeants français admettant ne pas y avoir pensé, vivant loin des préoccupations transfrontalières.
Son propos a été complété par Aude Bouveresse, la directrice du CEIE, qui a insisté sur l’importance de la coopération transfrontalière sanitaire.