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Université d’été à Wiesneck, juin 2023

Du 1er au 3 juin 2023, le Centre Jean Monnet a organisé une université d’été labellisée par Eucor, le campus européen. L’évènement a rassemblé une quarantaine d’étudiants et intervenants pour échanger autour des « frontières en temps de guerre » avec des tables rondes, des conférences et des groupes de travail.

Le programme complet est disponible ici

il a été rédigé et illustré par Vincent Tupinier

Randonnée de groupe dans la forêt de Buchenbach/Wiesneck

L’évènement a été organisé en coopération avec Sciences Po Strasbourg, l’université de Freiburg, la Hochschule de Kehl et l’université de Bâle. Davantage de détails sur cette école d’été trinationale sont disponibles ici.

Jeudi 1er juin

Beate Rosenzweig et Gisela Riescher ont accueilli les étudiants en présentant la Studienhaus Wiesneck et les intervenants. Leur discours de bienvenu a été suivi d’un exposé introductif de Birte Wassenberg et Joachim Beck.

Introduction de Birte Wassenberg et Joachim Beck

Birte Wassenberg a débuté sa présentation par une présentation générale sur les frontières ; abordant les types, les fonctions, les enjeux et les programmes européens axés autour des frontières. En effet, les frontières sont multiples. Elles peuvent être géographiques et naturelles, politiques, culturelles ou encore linguistiques, au sein et entre les Etats-Nations. De plus, elles ont des fonctions différentes selon les situations, et sont liées à un certain nombre d’enjeux : minorités, migrations, guerres, conflits politiques, environnement ainsi que ressources énergétiques. Elles sont aussi le lieu de coopérations diverses : programme PEACE en Irlande / Royaume-Uni et programme européen INTERREG ou encore les macro régions européennes ; et de mouvements (les travailleurs transfrontaliers). Par ailleurs, les zones frontières connaissent également des crises ; comme celle du Covid de 2020-2021 et des migrations de 2015 qui ont vu les frontières être fermées unilatéralement dans le cadre d’un « processus de rebordering ».

Joachim Beck a poursuivi cette présentation en détaillant les « border studies », la discipline de l’étude des frontières.  C’est une discipline transversale qui relie de très nombreux domaines : Histoire, sciences politiques, géographie, droit ou encore économie. Après des explications sur sa méthodologie, il a lancé un temps d’échange et de réflexion entre intervenants et étudiants sur les liens entre la guerre et les frontières.

Panel Frontem

Dans l’après-midi, Frontem a organisé un panel de discussions sur les frontières en Europe.

Simon Brunel a présenté son travail dans le cadre de Frontem, « les frontières en mouvement » ; autour de cinq régions frontalières en Europe : Allemagne-France, Irlande-Royaume-Uni, Danemark-Allemagne, France-Belgique et Hongrie-Roumanie. Son travail est présent sur son site internet.

Anthony Soares a pris sa suite pour évoquer la frontière irlandaise et l’accord du vendredi saint, suivi de Gyula Ocskay, pour la frontière entre la Roumanie et la Hongrie. Concernant cette frontière, il a tenu à rappeler que bien que les rapports politiques entre les deux partis soient tendus en raison de l’irrédentisme hongrois vis-à-vis de la Transylvanie, les populations aux frontières entretiennent de bons rapports. Gyula Ocskay a ensuite élargi sa présentation aux frontières de la Hongrie, détaillant les flux de travailleurs et l’étendue des métropoles aux frontières :

Il a aussi pu aborder l’espace Schengen, qui prend fin en Hongrie et non en Roumanie. En effet, Finlande et Autriche refusent l’entrée de la Roumanie dans l’espace Schengen bien que ce pays respecte tous les critères d’entrée ; c’est un choix politique.

Alexandru Mocernac mène de travaux de recherche sur l’impact de la guerre en Ukraine sur la Roumanie. Il a pris la suite de ses collègues pour détailler davantage la situation roumaine : les flux d’ukrainiens, déjà élevés en Roumanie, ont été multipliés par 4 entre 2021 et 2022 et la frontière est passée d’un obstacle à une frontière plus ouverte pour des raisons humanitaires.

Présents à Wiesneck, Anne Thevenet, Martin Klatt et Bernard Reitel ont ensuite pris la parole pour abonder les présentations de leurs camarades. Bernard Reitel, de l’université d’Artois, a par exemple insisté sur les différences qui divisent les zones-frontières, en s’appuyant sur l’exemple de la frontière franco-belge. Selon lui, bien que le paysage et le sens de circulation ne changent pas, des différences institutionnelles et politiques importantes sont visibles. De fait, la Belgique a par exemple des institutions locales bien plus développées qu’en France, pays unitaire. Ces différences sont peu à peu dépassées avec des infrastructures communes ou encore des transferts de patients durant la crise covid. Toutefois, la coopération transfrontalière a encore une marge de progression ; les forces de police devraient par exemple davantage coopérer.

Dans la soirée, les groupes de travail d’étudiants se sont réunis pour finaliser leurs projets de groupe.

Vendredi 2 juin

Gouverner et voter pendant le Zeitenwende  – Conférence de Karl-Rudolf Korte

Karl-Rudolf Korte est un politologue de l’université de Mainz. La deuxième journée de l’université d’été s’est ouverte avec une conférence de M Korte sur la politique en Allemagne pendant le Zeitenwende.  Après son exposé, un temps d’échange avec les étudiants a été organisé pour parler de l’état de la démocratie allemande et européenne, le populisme ou encore du rapport de la politique aux armées.

Les frontières en temps de guerre, une perspective historique – Groupe de travail étudiant

Le premier groupe de travail de l’université d’été a abordé les conflits de l’Histoire récente européenne, avec pour exemple les guerres de Yougoslavie et l’indépendance du Kosovo. Il était dirigé par Marcus Obrecht & Christine Aquatias. La présentation a débuté avec la carte ethnique de la région et les récits nationaux serbes et albanais : le héros national albanais Skanderberg, le site Gazimestan qui a vu les serbes résister aux ottomans ( la bataille de Amselfeld ) ou encore la résistance kosovare contre les serbes. Plus généralement, l’Histoire du Kosovo depuis le XIX° siècle a été abordée sur les plans ethniques, politiques, militaires et internationaux ; afin de mieux comprendre les tensions actuelles au Kosovo.

Un temps d’échange entre les présentants et le public a suivi la présentation.

Frontières et murs – Groupe de travail étudiant

Le second groupe de travail a abordé la question des murs aux frontières, dirigé par Angela Geck. Il existe quatre principales raisons pour lesquelles des murs sont bâtis entre les pays :

  • Sécurité et défense
  • Migration et contrôle des frontières
  • Différends territoriaux
  • Oppositions symboliques et politiques

Le groupe a abordé la frontière entre la Turquie et la Syrie, et entre le Kenya et la Somalie. Ces deux murs ont été construits pour assurer la sécurité nationale de la Turquie et du Kenya en raison des profondes crises qui traversent la Syrie et la Somalie. L’idée que les pays puissent être protégés par des murs se développe d’ailleurs ; le mur kenyan étant par exemple construit sur l’idée de l’israélien Netanyahu  après une visite de ce dernier au Kenya.

Après s’est restaurés, une randonnée a été organisée pour découvrir les environs de Buchenbach

Les causes des conflits intra et inter-étatiques – Conférence de Uwe Wagschal

Les causes des conflits sont diverses et la présentation d’Uwe Wagschal vise à en préciser les contours. En guise d’introduction, M Wagschal a tenu à en lister les principales : les ressources, l’indépendance, la colonisation, l’idéologie, le nationalisme, l’impérialisme / le capitalisme / le néolibéralisme, etc.

Il est ensuite revenu sur la notion de guerre. Selon lui, une guerre est un conflit de plus de 25 morts selon l’UCDP/PRIO.  Sur cette base, l’on peut dénombrer les pays qui ont le plus connu de guerres entre 1945 et 2017 : La France (28), le RU (27), la Russie (25), les Etats-Unis (24) et l’Inde (17). Ensuite, il a tenu à distinguer les conflits interétatiques et les conflits intraétatiques en en donnant des exemples (guerres civiles religieuses, guerres traditionnelles).

Une fois ces termes définis, M. Wagschal a dressé un bilan des conflits et de la paix des 20 dernières années. Se basant sur le Global Peace Index, il a exposé une hausse mondiale des conflits et en a listé les potentielles causes : les conflits entre civilisations d’Huntington notamment. Cette explication recoupe partiellement la réalité. En effet, 56% des conflits intraétatiques et 22% des conflits interétatiques sont culturels d’après le chercheur, sur la base des données CONIS. De même, sur la base d’une régression statistique, M Wagschal a affirmé que les flux migratoires sont une cause de conflits inter étatiques (mais non intra-étatiques). Toutefois, si l’on considère les guerres en général, c’est plus les différences linguistiques que les différences religieuses qui causent les conflits, en particulier les conflits intraétatiques.

M Wagschal a également abordé une cause peu connue : la démographie et la «Youth Bulge » (la « poussée de la jeunesse ») . En effet, celle-ci favorise la levée d’armées importantes et les jeunes hommes frustrés et marginalisés peuvent constituer des groupes violents. Si l’on fait une régression statistique, on s’aperçoit d’ailleurs que les xfacteurs les plus importants pour les conflits entre et dans les Etats sont une poussée de la jeunesse et une grande population. Si l’on prend du recul, on peut d’ailleurs remarquer quà part la Russie et sa guerre liée à la puissance, tous les pays les plus meurtris par la guerre sont les pays les plus jeunes du monde : Afghanistan (37% de 0-29 ans), Yémen (35%), Syrie (32% ou encore, Soudan (34%) (A comparer avec les 15% de l’Allemagne).

Samedi 3 juin

Frontières et approvisionnement énergétique – Groupe de travail étudiant

La troisième journée de l’université d’été s’est ouverte avec les travaux du groupe de Sarah Herrmann et Bénédicte Laroze, portant sur les frontières et l’approvisionnement énergétique. Les étudiants ont entre autres abordé les transferts d’énergie entre les pays dans le cadre du réseau européen ; l’énergie générée par l’industrie allemande permettant par exemple de chauffer en partie Strasbourg (le partenariat alliance-chaleur Kehl-Strasbourg).

La crise du gaz russe a aussi été abordée, la part de la Russie dans les importations gazières européennes est en effet passée de 41% à 9% entre août 2021 et août 2022. En réponse à cette crise, la Commission Européenne a proposé le programme Repower EU, qui propose d’économiser davantage l’énergie, diversifier l’approvisionnement de gaz et se tourner davantage vers les énergies non carbonées. Les autres programmes de la Commission ont aussi été abordés, notamment le Green Deal qui vise à la neutralité carbone en 2050.

Bien que des avancées soient faites, l’Europe connait quelques échecs au niveau de l’énergie. Par exemple, en 2007, la Suisse et l’UE ont lancé des négociations pour intégrer la Suisse au marché de l’énergie européen. Négociations qui ont échoué en 2021, le Conseil fédéral suisse ayant mis fin aux négociations.

Frontières et migrations  – Groupe de travail étudiant

Le quatrième groupe de travail, sur les frontières et les migrations, dirigé par Vincent Tupinier, a pris la suite du groupe sur l’énergie. Les étudiants ont fait une étude comparative du traitement des demandeurs d’asile issus des guerres de Syrie-Irak (2015-2016) et d’Ukraine (2022-2023). Cinq zones ont été comparées :  Suède, Allemagne, Pologne et Royaume-Uni, ainsi que l’Union Européenne.

Après avoir abordé le cadre juridique des migrations en Europe, les étudiants ont fait un bilan des statistiques de l’accueil des demandeurs d’asile, ainsi que des perceptions des habitants et migrants des pays d’accueil. Les pays européens, ont appliqué un double-standard aux demandeurs d’asile, favorisant les ukrainiens par rapport aux moyen-orientaux musulmans. Ce jugement est valable tant pour les dirigeants que pour les habitants des pays d’accueil. Toutefois, des différences existent entre eux ; l’Allemagne et la Suède ont été plus généreux que leurs partenaires européens en 2015.

Conférence de clôture : les frontières en temps de guerre, Sylvain Schirmann

Sylvain Schirmann a clôturé l’université d’été par une digression historique sur la guerre, les frontières et leur avenir, dans la langue de Molière, puis dans la langue de Goethe.

Les frontières naturelles n’existent pas, elles sont le résultat de luettes politiques et de conquêtes. De ces conflits sont nés des pays aux territoires variés ; la France étant par exemple une puissance indo-européenne. Il en va de même pour le Royaume-Uni. Ainsi, des organisations comme l’OTAN ou l’UE (en vertu de l’article 61 du Traité de Lisbonne) ont des frontières allant au-delà de l’Atlantique et l’Europe.

La signification de la frontière dépend de notre localisation au sein du territoire. Pour un alsacien, la frontière est une évidence. En revanche, pour un toulousain, la frontière avec l’Allemagne n’est pas nécessairement une évidence. Ainsi, les autorités françaises ont en 1872 tenu à rappeler aux toulousains que l’Alsace faisait partie de la France, en renommant la rue principale de Toulouse la rue « d’Alsace-Lorraine ».

Les frontières des organisations internationales sont politiques. Les organisations sportives et artistiques en sont un bon exemple : on intègre l’Angleterre ou le pays de Galles au football mais pas l’Irlande du Nord. Ou encore : on accueille la Turquie dans l’eurovision, mais pas immédiatement les pays du Caucase (et on accueille le Maroc et non l’Algérie).

La mondialisation n’amène pas à la disparition de la frontière, mais à repenser la frontière et les règles qui l’encadrent. Ainsi, les frontières n’ont pas disparu en Europe, elles ont été diminuées mais surtout repensées ; conduisant les acteurs européens à se repositionner. Les syndicats défendent les frontières pour éviter un abaissement généralisé des droits sociaux. Les Etats tirent le meilleur des deux mondes concernant l’énergie : la France peut garder son énergie nucléaire grâce à la frontière, mais peut utiliser le marché de l’énergie européen pour importer de l’énergie non-nucléaire. Par ailleurs, les entreprises peuvent jouer des différentes législations et programmes d’aides en Europe pour s’y implanter en tirant parti du meilleur de chaque pays. Ainsi, les frontières sont « des ponts et des traits d’union » qui relient les pays et permettent diverses stratégies pour les acteurs qui les entourent.

Sylvain Schirmann

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