Cet article vous est proposé par
pour le magazine Savoirs.Une université dans une capitale européenne. Qu’est-ce que cela change tant du point de vue de la formation que de la recherche ? Cela implique-t-il des responsabilités particulières ? Réponses avec Sylvain Schirmann, ancien directeur de l’Institut d’études politiques (IEP) de Strasbourg, professeur d’histoire des relations internationales et responsable du nouveau centre d’excellence Jean Monnet.
Strasbourg est le siège du Conseil de l’Europe et du Parlement européen : comment cela se vit-il du côté de l’université ?
L’Université de Strasbourg a été fondée dans le contexte de la Renaissance et du débat sur la remise en cause de l’autorité de l’église catholique par la Réforme. Cette université est créée dans ce grand mouvement européen d’émergence de l’individu. Au XVIII e siècle, l’Ecole de droit et de diplomatie créée à Strasbourg par Schoepflin forme des responsables européens de premier plan, dont le chancelier autrichien Metternich, l’homme du Congrès de Vienne. Strasbourg est en première ligne de cette grande réforme pédagogique insufflée par les Lumières et qui traverse l’Europe. Un siècle plus tard, Strasbourg devient l’une des universités allemandes où sont appliquées les visions de Humboldt en matière d’organisation universitaire. Et, au retour à la France en 1918, elle est à nouveau pionnière dans le domaine des sciences humaines et sociales puisque c’est ici qu’est créée l’Ecole des Annales de Marc-Bloch et Lucien-Febvre. Bien avant que les institutions actuelles ne s’installent à Strasbourg, l’université est au cœur de tous les grands courants de l’histoire intellectuelle et universitaire européenne.
La présence des institutions européennes donne-t-elle à l’Université de Strasbourg un caractère européen que les autres universités n’auraient pas ?
Peut-être convient-il de rappeler, là encore, que le 10 août 1949, le Conseil de l’Europe tient sa première séance dans l’aula du Palais universitaire. Ce n’est pas rien… Par la suite, l’assemblée parlementaire de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et le Parlement européen s’installent à Strasbourg. Et bien sûr, l’université accompagne cette installation des institutions européennes : le Collège des études européennes est créé à Strasbourg au début des années 1950 ; il devient par la suite l’Institut des hautes études européennes intégré dans l’IEP en 2012 et dont le centre d’excellence Jean Monnet est un lointain successeur. On peut aussi citer la thèse de droit du professeur Robert Kovar sur le pouvoir règlementaire de la CECA : cette première thèse de droit communautaire signe le début de l’école juridique de droit communautaire de Strasbourg. En 1980, le professeur Raymond Poidevin organise, à Strasbourg, le premier colloque consacré à l’histoire de la construction européenne. Plus récemment, le commentaire du Traité de Maastricht par une équipe de juristes autour du professeur Vlad Constantinesco a fait autorité. Finalement, la présence des institutions européennes a fait de Strasbourg une université d’expertise sur les questions européennes dans les disciplines juridiques, historiques et de sciences politiques. Cette dernière discipline se développe depuis les années 1990. En fait, deux mouvements se rencontrent : le besoin d’expertise de la part des institutions et la capacité pour l’université d’attirer des experts des institutions pour des conférences, des colloques et des cours.
L’Université de Strasbourg a-t-elle contribué à des avancées européennes tant par la formation que par la recherche ?
L’université a été un vrai terrain d’expérimentation en matière de coopération universitaire transfrontalière. Eucor montre ce qu’on peut faire en termes de dépassement de la frontière. L’Unistra a également joué un des tous premiers rôles pour l’accueil des étudiants étrangers. Nous avons très tôt rendues obligatoires des années universitaires à l’étranger dans certains de nos cursus. Ce n’est pas rien, tant la coopération est un des fondements de l’Europe. Pour répondre plus précisément à votre question, je voudrais également parler des écoles politiques du Conseil de l’Europe auxquelles des enseignants de l’IEP de Strasbourg ont participé après la chute du Mur de Berlin. Ils partaient former des responsables des pays de l’Est de l’Europe, par exemple dans le Caucase, aux rouages de la démocratie. Cela perdure d’ailleurs aujourd’hui à travers le Forum de la démocratie.
Compte tenu de la crise que connaît aujourd’hui l’Europe, l’Université de Strasbourg aurait-elle raté un épisode ?
Je ne sais pas si nous avons raté un épisode, mais cette crise nous amène à ouvrir des chantiers que nous avons peut-être négligés. En fait, nous nous sommes surtout intéressés à la construction européenne sous l’angle d’un processus linéaire, fonctionnaliste et sous l’aspect de l’européanisation. Or, les crises actuelles nous montrent que c’est beaucoup plus complexe. Nous devons investir de nouveaux terrains de recherche. En 2009, au moment de la crise financière, nous avons par exemple ouvert des chantiers sur l’anti, l’alter, l’euroscepticisme. Il y a quelques années, nous avons lancé les débats sur l’Europe en question. Encore faut-il lire les travaux des chercheurs : c’est un vrai défi !
Le 10 août 1949, l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe se réunit pour la première fois à Strasbourg dans l’aula du Palais universitaire sous la présidence provisoire d’Édouard Herriot. Dès le lendemain, le délégué socialiste belge Paul-Henri Spaak, précédemment ministre des Affaires étrangères, est élu à la présidence de l’assemblée.