Cet article vous est proposé par Jean-François Fournel pour le journal La Croix.
Sur les 55 pays composant l’UEFA, 53 sont à l’arrêt en raison du Covid-19, la Biélorussie n’a jamais interrompu son championnat et l’Allemagne reprend samedi 16 mai à huis clos. Sous le regard inquiet des autorités sanitaires, qui n’hésiteront pas à fermer le ban en cas de contamination au sein des stades.
Du haut de ses 55 membres, l’UEFA, l’organisation du football européen, est un vieuxcolosse né en 1954. Aux pieds d’argile quand il s’agit de faire courir ses adhérent dans le même sens. De l’Atlantique à l’Oural, de l’Islande à Israël (1), en passant par le Portugal ou le Kazakhstan, les cloches du football ne sonnent pas au même rythme. De quoi donner le bourdon au discret Aleksander Ceferin, qui a remplacé Michel Platini à latête de l’organisation. Début avril, le Slovène confessait « faire des cauchemars toutes les nuits » à l’idée du calendrier des phases finales des Coupes d’Europe 2019-2020 interrompues en mars, et qu’il compte organiser en août.
Dans le paysage européen, seul un homme n’a jamais varié depuis l’explosion de lapandémie. Pour le peu démocrate président biélorusse Alexandre Loukachenko, le coronavirus reste une « grippette » (sic) qui ne justifie ni confinement ni arrêt du championnat. Pour tous les autres responsables sportifs ou politiques européens, la décision de faire ou non rechausser les crampons aux joueurs a tenu lieu de casse-tête.
Dans la France jacobine, c’est bien le discours du 28 avril du premier ministre devant la représentation nationale qui a définitivement sonné le glas de la saison en court. Dans la fédérale Allemagne, il a fallu un compromis entre les Länder et la chancellerie pour aboutir à une reprise dès ce week-end.
Le sport, compétence nationale comme la santé ou l’école
Relativement épargnée par le Covid 19, l’Allemagne a annoncé très tôt son intention de relancer le championnat au plus vite. À l’inverse, les Pays Bas, eux aussi atteints de manière modérée par l’épidémie, ont tout aussi précocement déclaré leur volonté de laisser les stades fermés. « Ces différences sont en réalité assez représentatives des cultures nationales et du fonctionnement de l’Union européenne : comme pour la santé ou l’éducation, le sport est une compétence nationale. Chaque État met en œuvre sa propre politique sportive, de même que sa politique sanitaire », explique le William Gasparini, professeur de sociologie du sport à l’université de Strasbourg (1).
À l’exception de l’épiphénomène biélorusse, le continent européen football se divise en trois catégories. Il y a les pays rouges comme la France ou les Pays Bas, qui ont définitivement tiré le rideau de leurs compétitions nationales. Les oranges comme l’Espagne, l’Angleterre ou la Belgique ont suspendu leurs championnats, en espérant une reprise. Quant aux verts, Portugal, Turquie, Serbie et Italie, ils ont remis les joueurs à l’entraînement et envisagent une reprise fin mai ou début juin.
L’Allemagne, chef de la zone verte
Avec ses matchs programmés dès ce week-end, l’Allemagne mène le bataillon vert. On rejouera dès samedi 16 mai à 15 h 30 pour le compte de la 26e journée de la Bundesliga, à huis clos, dans des stades garnis au maximum de 300 personnes (joueurs, journalistes, personnels de sécurité). Avec le respect des gestes barrière avant et après le match, mais pas… pendant, la distance de sécurité n’ayant alors aucun sens. D’autres règles ont été adaptées à la situation sanitaire : cinq remplacements au lieu des trois habituels seront par exemple possibles et l’arbitrage vidéo sera suspendu.
Tout cela se passera sous le regard inquiet des autorités sanitaires, qui n’hésiteront pas à fermer le ban en cas de contamination au sein des stades. Mais surtout sous l’œil des caméras dont les images permettront à cette économie de ne pas être à l’arrêt. «C’est le grand paradoxe du football qui est à la fois une activité européanisée sous contrôle de chaque État et en même temps une organisation complètement privée avec ses propres règles et sa logique économique », poursuit William Gasparini.
Un monde à part, avec ses propres lois et sa propre géographie. « Les matchs européens télévisés créent une carte mentale et une communauté imaginée, complète William Gasparini. Lors d’enquêtes de terrain sur le rapport à l’Europe de certains jeunes des quartiers populaires de Strasbourg, l’Europe c’est avant tout la Ligue des champions, l’Euro, l’UEFA. Et ils sont convaincus que la Turquie est déjà membre de l’Union européenne. »
Jean-François Fournel
(1) En raison du contexte politique leur interdisant de disputer dans de bonnes
conditions les compétitions asiatiques, les clubs israéliens participent aux Coupes
d’Europe depuis 1991. La Fédération israélienne a adhéré à l’UEFA en 1994.
(2) Auteur de L’Europe du football, PUS, 2018.