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Inauguration du deuxième Centre d’Excellence franco-allemand Jean Monnet

Le Centre d’excellence franco-allemand Jean Monnet est un centre de recherches transfrontalier qui visera pendant les trois prochaines années à favoriser et étudier la résilience des régions frontalières de l’UE en tant que modèles d’intégration européenne. Il fédèrera une équipe pluridisciplinaire de divers chercheurs de Strasbourg, Kehl, la Mission Opérationnelle Transfrontalière ou encore de Victoria (au Canada).
Le vendredi 20 janvier 2023 s’est tenue la conférence de lancement du Centre dans les locaux de Sciences Po Strasbourg. Elle a été l’occasion d’inaugurer la structure mais également de présenter les travaux de Master d’étudiants de Sciences Po Strasbourg et de lancer une discussion sur les relations franco-allemandes entre différents acteurs de ces relations. L’évènement était ouvert à tous et de nombreuses personnes sont venues y assister.

Mots d’accueil

Michel Deneken, « admiratif de ce qui se passe dans cette maison » a ouvert la conférence. Selon lui, le Centre est une réalité universitaire d’excellence rare à tous les points de vue. En effet, les centres d’excellence sont rares et c’est l’un des rares, voire peut-être le seul, à avoir été reconduit grâce au travail de qualité de ses membres. Très attaché à la recherche universitaire, il se réjouit que celle-ci bénéficie à tous les étudiants et qu’elle intègre des chercheurs de toutes origines et des deux rives du Rhin.
Le président de l’Université de Strasbourg a également rappelé l’importance de l’étude des frontières et des enjeux, notamment militaires ou économiques, que celles-ci connaissent. Selon lui, les étudier est particulièrement important et il a souligné l’importance du Centre franco-allemand de recherche dans cette «course folle de part et d’autre du Rhin ».
Jean-Philippe Heurtin, président de Sciences Po Strasbourg a complété ces mots d’accueil. Il a dit se réjouir du lancement du Centre et des 60 ans du Traité de l’Elysée du 22 janvier 1963. Selon lui, les objectifs renouvelés de l’institution, portant sur l’étude des « régions-frontières » sont particulièrement intéressants. La crise du covid a profondément impacté ces espaces de vie frontaliers. En effet, elle a conduit au rétablissement des contrôles unilatéraux aux frontières et sans considérations pour les espaces-frontière qui sont devenues des zones d’interdits et de contrôle. Cela a révélé nombre de faiblesses de la politique européenne (sécurité, santé ou encore transport) trop centrée sur les Etats et leurs compétences ; et ce alors même que nombre de questions sont transnationales (terrorisme et pandémies entre autres).
Ainsi, l’équipe du Centre, franco-allemande et spécialisée dans les borders studies et l’Europe, permet une étude en profondeur des frontières et est en elle-même «un acte de résilience d’une région transfrontalière, celle qui sépare et réunit la France et l’Allemagne ». Au-delà de ces deux aspects, le Centre d’excellence permettra de créer une offre de formation favorisant les échanges entre européens et le développement du projet européen.

Présentation du Centre d’excellence

Birte Wassenberg directrice du Centre d’excellence, a pris la suite de Monsieur Heurtin et présenté la structure et ses activités. Elle a tout d’abord tenu à remercier le directeur de l’université, de Sciences Po et l’équipe du Centre, « un couple à trois» : Mme Berrod, M Beck et elle-même. Elle a également remercié les étudiants de Master de Sciences Po Strasbourg Nadège Heintz, Tristan Lardet et Romane Girard pour leur aide en vue de la conférence.1
La directrice est ensuite revenue sur le processus de création du Centre. Ce dernier a été créé avec trois objectifs :

    • Fédérer le réseau Jean Monnet pour travailler sur les frontières : les 8 chaires Jean Monnet, dont les chaires en sciences humaines sont particulièrement réussies, et l’université de Freiburg. Le Centre doit viser à développer la recherche et la formation sur cette thématique tout en étant ouvert à la société civile

    • Pérenniser la coopération transfrontalière entre Strasbourg et Kehl, voire jusqu’à Sarrebruck et dans la région transfrontalière franco-allemande en général. A ce sujet, les structures transfrontalières étant rares voire inenvisageables juridiquement, il faut pérenniser juridiquement le projet, potentiellement avec l’aide du volet de coopération transfrontalière du Traité d’Aix-la-Chapelle2. L’aspect financier doit aussi être pérennisé.

    • Le centre précédent était caractérisé par la présence d’un grand nombre de chercheurs français et allemands. Cela a conduit au projet actuel à étudier comparativement la région franco-allemande et les autres régions transfrontalières.

Madame Wassenberg est également revenue sur le processus de « rebordering » qui s’est opéré lors de la crise Covid. Bien que les frontières se soient rigidifiées avec la crise, les populations transfrontalières ont été résilientes et solidaires, ce qu’elle salue. Elle a notamment pu le constater en région franco-allemande et en région germano-polonaise.

Joachim Beck , directeur adjoint, a poursuivi la présentation en donnant davantage de détails sur les rapports entre chercheurs de part et d’autre du Rhin au sein de la structure. L’Euro-Institut de Kehl et la Hochschule seront les partenaires privilégiés des travaux du Centre. La Hochschule va d’ailleurs développer un Master et une offre de formation portant entre autres sur les obstacles juridiques et administratifs au sein de l’Union Européenne. Selon lui, ces obstacles font perdre à l’UE environ 5% de son PIB chaque année ; les supprimer donnerait lieu à la création de 8 millions d’emplois. Une approche comparative permettra d’identifier les obstacles et leurs solutions. Malgré l’échec de la tentative d’un « bachelor européen », il a bon espoir que ce projet réussisse.
M. Beck a également insisté sur l’interdisciplinarité et les partenariats institutionnels de la société civile : Eurodistrict Strasbourg-Ortenau, chambres de Métiers régionale ou encore associations locales.

Frédérique Berrod, directrice adjointe, a quant à elle évoqué les rapports avec la Commission Européenne, partenaire du projet. Des livrables ont notamment été promis à la Commission pour que celle-ci puisse suivre le développement des activités4. Dans cette optique, le Centre doit démontrer qu’il peut mettre en oeuvre une offre de formation continue « résiliente et durable » en partenariat avec l’Euro-Institut, un travail de fond sur les frontières et organiser les « border walks » : un parcours le long de la frontière germanique ponctué de représentations artistiques et théâtrales. Revenant sur les propos de ses collègues et reprenant la formule de Mireille Delmas-Marty5, elle a appelé à convoquer les « forces imaginantes du droit » pour pérenniser le Centre en utilisant l’article 13 du Traité d’Aix-la-Chapelle.

Présentation du projet de Master des étudiants de Sciences Po Strasbourg

Tristan Lardet, Romane Girard et Nadège Heintz sont des étudiants du Master Développement et Coopération Internationale de l’IEP. Dans le cadre de ce cursus, ils ont travaillé en lien avec l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse (OFAJ) pour organiser une exposition sur les échanges franco-allemands. Cette exposition dans les locaux de Sciences Po Strasbourg porte sur les échanges entre jeunes français et allemands. Ayant également travaillé avec le Centre d’excellence, ils ont organisé la présente conférence de lancement et ont tenu à remercier tous leurs partenaires de leur mission de 5 mois.

Table ronde : le couple franco-allemand est-il en panne ?

A la suite des présentations, Anne Thévenet a modéré des discussions autour de la question « un peu provocante » selon elle : « 60 ans après le traité de l’Elysée, le couple franco-allemand est-il en panne ? » avec pour y répondre 4 actrices, acteurs et passionnés des relations franco-allemandes. Après leur prise de parole, les questions ont été ouvertes au public.
Selon Sylvain Schirmann, on peut répondre à la question de deux façons : quantitativement et qualitativement. De manière quantitative, le nombre de rencontres et de projets de politiciens et fonctionnaires franco-allemand croit sans cesse, avec pour dernier exemple en date le projet d’un train de nuit entre Paris et Berlin. Toutefois, qualitativement, les relations se détériorent : seulement à peine plus de 10% des français apprennent l’allemand et vice-versa.
De plus, l’Allemagne et la France avaient été entre 1963/1964 et 2015 les principaux partenaires économiques en Europe ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, notamment au niveau des investissements et des échanges commerciaux. Ces structures d’échanges quotidiens sont « en train de se distendre ». En partie en cause : la désindustrialisation, qui a frappé la France plus durement que l’Allemagne et qui l’a reléguée à la troisième place des industries européennes, derrière l’Italie. De surcroit, il y a eu des « échecs retentissants » de la coopération économique : le projet avorté d’Areva et Siemens dans le nucléaire civil (2010) ou encore l’échec/l’absence des projets de coopération économico-industrielle sur l’armement. Il faut noter que la désindustrialisation différenciée découle de choix politiques différenciés : dérégulation du travail par les textes Hartz en Allemagne et concentration industrielle en quelques acteurs clés en France.6
En outre, « la vision à long terme est la vision commune ». Or, il y a moins, voire plus, de vision commune et imbriquée entre France et Allemagne. La volonté politicienne peut impacter la situation bien que les politiciens ne peuvent pas aller fondamentalement contre les « intérêts fondamentaux […] qui sont allés en s’écartant depuis 30 ans » :

    • L’Allemagne veut s’inscrire dans la mondialisation dont le marché unique européen n’est pas une fin mais une étape et veut supprimer les barrières économiques comme l’OMC le désire. Et la France veut encadrer le dialogue et le commerce transatlantique, davantage de protectionnisme et des exceptions culturelles7

    • L’épargnant allemand veut que toute l’Europe respecte les critères de convergence et voir ce qu’il a prêté être remboursé tandis que la France, endettée, veut une gouvernance économique : le pilotage de l’économie par le politique

    • Concernant la défense, la France n’a pas pris au sérieux l’Allemagne et a préféré se rapprocher du Royaume-Uni : Traité de Dunkerque d’alliance et d’assistance mutuelle (1947) ou rencontre Chirac-Blair à Saint Malo (1998), dans une logique de « communautarisation de la défense ». De plus, tandis que les deux pays ont voté en faveur de l’intervention en Libye, l’Allemagne s’est abstenue (2011).

Ainsi, les structures franco-allemandes fonctionnent mais les intérêts fondamentaux divergent :

« La liturgie franco-allemande fonctionne, mais qu’en est-il de la foi ? »

Pour Jérémy Rossignol, représentant de l’OFAJ, les relations franco-allemandes témoignent d’une certaine vitalité : 9,5 millions de jeunes ont participé aux échanges organisés par l’OFAJ depuis 1963 et sa création par le Traité de l’Elysée. Les échanges entre les deux peuples parmi les personnes « de 3 à 30 ans » sont nombreux : recherches, échanges scolaires ou encore débats d’idées universitaires ou publics. Ainsi, des liens durables entre les deux pays, basés sur la rencontre et le partage des cultures et des langues, se sont renforcés depuis ces 60 dernières années. De plus, le conseil d’administration est composé des deux ministres de la jeunesse français et allemand et cette cogestion, basée sur les compromis entre les deux pays, est fonctionnelle.

L’Office est d’ailleurs en pleine expansion et s’est ouvert aux pays méditerranéens et du Maghreb ainsi que d’Europe Centrale et Orientale afin de rapprocher les peuples de pays autrefois en guerre. Cela s’inscrit dans sa mission de promotion de la paix, des liens entre les peuples, de l’apprentissage des langues ainsi que de l’Europe. L’OFAJ « on a le vent en poupe » et voit son budget augmenté et son action respectée.
Par ailleurs, l’OFAJ compte parmi les étudiants des ambassadeurs chargés de développer les liens entre les territoires. Comptant parmi les 100 ambassadeurs français, Gabrielle Le Porcher couvre le territoire français afin de mieux faire connaître la structure auprès de la jeunesse.8 Toutefois, elle regrette que certains évènements organisés par les ambassadeurs connaissent peu d’affluence bien que cela reste tout de même un bon atout pour les relations franco-allemandes.
A ce sujet, l’OFAJ travaille au rajeunissement du public des évènements et liens franco-allemands. En effet, selon M. Rossignol, la jeunesse est partagée entre une majorité neutre envers le franco-allemand et une minorité de jeunes investis et passionnés. Bien que cette minorité soit active au niveau de la culture et du sport, il faut chercher à toucher un public plus large. Afin d’en savoir plus, l’OFAJ a réalisé pour ses 60 ans une étude9 sur les jeunes français et allemands. Portant sur 3000 personnes, elle a quatre grands résultats :

    • Les crises sociales, militaires et environnementales ont marqué la jeunesse et 30% seulement se disent satisfaits de leur vie10

    • 2/3 se disent inquiets sur la possibilité de participer au politique et surtout de l’enjeu climatique

    • La majorité des jeunes considère comme une valeur refuge la solidarité européenne et le franco-allemand

    • Afin de faire évoluer la situation, la jeunesse attend des actions concrètes et est prête à agir.11
      A la suite de cette étude, l’OFAJ a décidé d’intégrer davantage l’inclusion, l’environnement et la démocratie dans ses projets.

Les échanges universitaires sont aussi caractérisés par des doubles masters franco-allemands. C’est par exemple le cas du double diplôme en Droit entre les universités de Strasbourg et Fribourg-en-Brisgau qui permet d’accéder à un master français et un LL.M12 allemand. D’après Alexane Suaton, représentante du double master, le cursus se déroule en deux ans avec une année auprès de chaque université et est large : Strasbourg a ouvert 14 de ses filières de droit au double-diplôme. Les résultats de ce système sont encourageants bien qu’il y aie encore une marge d’amélioration : les jeunes diplômés sont rapidement embauchés dans le cadre d’emplois franco-allemands que publie la chambre de commerce franco-allemande. Alexane Suaton a également tenu à préciser que les relations entre les deux pays sont déséquilibrées au niveau de l’investissement et de l’attrait pour son voisin, ce qui est dommageable.
Il faut également noter que le Traité d’Aix-la-Chapelle (2019) a créé un fond franco-allemand de soutien pour les initiatives franco-allemandes, dont le budget a rapidement été augmenté suite à son franc succès.

L’avenir du couple franco-allemand

Après avoir échangé sur l’actualité du couple franco-allemand, son avenir a été abordé sous l’angle des ambitions mais aussi des réflexions des intervenants.
Concernant les ambitions, M. Rossignol rêve d’un espace transfrontalier où il est plus simple de se former en alternance des deux côtés de la frontière et souhaite augmenter l’apprentissage tardif de la langue et les échanges plutôt que de se concentrer uniquement sur l’apprentissage précoce. Il pense également qu’il faut prendre en compte le système décentralisé allemand, où de fortes disparités entre Länders sont constatées au niveau de l’apprentissage du français. Cependant, il regrette que les populations ne partagent pas son enthousiasme.
Mme Suaton souhaite démonter les préjugés à l’encontre de l’Allemagne et Mme Le Porcher veut relancer et renouveler les jumelages où les jeunes prendraient le relais dans des comités de jumelages aujourd’hui vieillissants. A une question leur demandant si, à l’avenir, il ne faudrait pas plutôt utiliser l’anglais pour faciliter les liens entre les peuples, elles ont répondu qu’apprendre la langue maternelle permet de mieux se comprendre car certaines idées sont intraduisibles.
Pour ce qui est des réflexions, M. Schirman a tenu à rappeler des éléments d’Histoire. En 1958, Adenauer (82 ans) et De Gaulle (68 ans) se sont rencontrés pour la première fois au domicile du second et se sont quittés en se promettant de sceller un acte de réconciliation franco-allemande, ce qui a pris 5 ans. Selon Schirman, c’est une vision qui a alors fonctionné, De Gaulle déclarant que «l’intendance suit » et Adenauer poursuivant avec « je ne m’occupe pas des affaires des boutiquiers». Actuellement, les dirigeants devraient reconnaître les réalités, réorganiser les structures et avoir une vision de long terme. Cette réalité est d’ailleurs une réalité déséquilibrée :

« Intrinsèquement, la relation franco-allemande ne nous fait pas naturellement être des états complémentaires [mais plutôt] déséquilibrés »

En effet, la France a l’arme nucléaire et un siège au conseil de sécurité et l’Allemagne est pacifiste ; c’est pour cela qu’il faut faire des compromis et avoir une vision commune. Or, le président Macron n’en a pas et a même signé le jour des 60 ans du traité de l’Elysée un traité non pas avec l’Allemagne mais l’Espagne, ce qui est symbole fort. De plus, il a signé un ensemble de traités de l’Elysée avec l’Italie et l’Espagne, diminuant donc l’importance de l’Allemagne pour la France.
Si jusqu’en 1994/1995 les deux pays avaient des relations « primus inter pares », cela a été remplacé par un nouveau projet difficile à définir dans le milieu des années 1990. Et ce dans un contexte où le régionalisme commence à miner l’UE : groupe de Visegrad, Allemagne avec les pays Nordiques et France avec les pays du Sud et méditerranéens face à la crise énergétique. Il faut au contraire refonder l’UE autour de 7/8 pays formant un noyau dur, et l’Allemagne et la France doivent y partager une vision commune.

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